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légitime, sauf à devenir coupable ou malheureuse plus tard, si la famille s’est trompée sur l’association possible de deux caractères antipathiques.

» Quand Montroger vint, un beau matin, me dire étourdiment qu’il était le plus heureux des hommes, je me demandai si l’on vendait les filles, s’il m’avait achetée, et de quel droit il me chargeait du soin de son bonheur. J’étais complètement ignorante alors et je ne cédais qu’à un instinct d’autant plus puissant qu’il était moins éclairé. Plus tard, je compris le mystère de ma répulsion, et je la sentis invincible. On m’avait tant aimée, tant gâtée, que je ne pouvais pas devenir humble, m’effacer du jour au lendemain, me laisser pousser sous la tente du vainqueur comme une captive troyenne. J’avais lu les poètes et les historiens, je comprenais le sens de ce grand mot de l’antiquité : « Quand Jupiter nous réduit en esclavage, il nous ôte la moitié de notre âme. » Cela me semblait éternellement vrai. La grâce d’état accordée à celui qui perd sa liberté est de perdre en même temps le respect de lui-même. Comment pouvais-je concilier cette obligation avec l’estime de moi, que l’on avait travaillé à m’inspirer ?

» Avouons que l’éducation logique devient impossible, et que, si on ne modifie pas les institutions, il faut renoncer à développer les idées. Pour enseigner la retenue et la pudeur à une enfant, on lui enseigne à se regarder comme un vase sacré, et tout aussitôt, dès qu’elle est nubile, on lui désigne l’homme pour qui ce vase d’élection doit être un ustensile de ménage. Si elle hésite, on la gronde ; si elle résiste, on la menace.