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— Il est très-sincère, il a dû vous dire ce qu’il croit vrai ; mais il n’a rien dû comprendre. Il ne doit point s’expliquer pourquoi je ne l’ai point aimé.

— En effet, il s’en étonne beaucoup.

— Et vous, est-ce que cela vous étonne ?

— Moins que lui, je l’avoue.

— Soyez franc : vous semble-t-il que j’eusse dû l’aimer ?

— Non, je serais surpris que vous l’eussiez aimé d’amour.

— Eh bien, je ne suis pas sûre d’avoir eu raison de le dédaigner. Il était beau, honnête et bon. Une jeune fille à qui un tendre père présente un excellent mari, digne de toute confiance et de tout respect, a-t-elle le droit de s’estimer plus que le fiancé choisi pour elle, et de se réserver pour un type idéal qu’elle a bâti de toutes pièces dans son cerveau et qu’elle ne rencontrera peut-être jamais ? Le monde n’a-t-il pas le droit de la condamner comme folle, visionnaire, vaniteuse, exigeante, et destinée à tomber dans les aventures de roman ?

— En êtes-vous encore là, Célie ? Doutez-vous de vos droits sur vous-même ?

— Que voulez-vous ! on m’a tant dit que j’avais tort !… J’avais quinze ans à peine ; voilà près de quinze ans que dure pour moi ce supplice de m’entendre répéter que la femme ne s’appartient ni comme fille ni comme épouse, et que vouloir se soustraire à la domination personnelle est un attentat contre l’ordre éternellement établi. Il est de rigueur qu’une enfant tremble et rougisse au premier appel qu’un homme fait à sa soumission, qu’elle s’en tienne pour honorée et qu’elle s’abandonne à lui comme à son maître