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— Est-ce à dire que vous ne m’aimerez jamais ?

— Si je vous dis cela, serez-vous guéri ?

— Non ! je serai plus épris encore, je ne crois pas à l’impossible. Une femme comme vous peut facilement résister à elle-même, mais elle ne résiste pas au véritable amour quand elle le rencontre. Je bénis ma destinée d’arriver le premier, je chéris Montroger et vos autres adorateurs éconduits, je remercie Dieu de n’avoir pas mis en eux le feu sacré qui eût animé la statue ; mais ce feu est en moi, je le sens, je le sais, il m’étouffe, et je trouverai des paroles pour l’exprimer. Le prouver et le manifester sera l’unique affaire de ma vie, le but absolu de ma volonté. Quand vous aurez constaté qu’il existe encore, dans ce temps d’orgueil et de raillerie, un homme capable d’aimer une femme exclusivement et de toutes les forces d’une âme forte, vous vous rendrez. L’ayant attendu dix ou douze ans, vous serez bien certaine que, dans notre siècle de calcul, d’épuisement et de scepticisme, il y a peu de chances d’en rencontrer de si tôt un second. Vous vous direz que vous avez trente ans et que vous n’avez pas encore vécu ; vous reconnaîtrez que se compléter par l’amour est une loi divine. Un profond sentiment d’équité et de bonté qui est en vous vous fera sentir le besoin de donner à quelqu’un le bonheur que vous n’avez donné à personne, vous ne voudrez pas disparaître comme une plante stérile, et, au lieu de rougir de devenir femme, vous porterez dans le sacrifice de votre liberté l’enthousiasme d’une conviction religieuse.

Je ne sais ce que je lui dis encore ; j’étais retombé à ses genoux et je lui parlais sans avoir conscience des mots dont je me servais. Ils venaient sur mes