Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/162

Cette page n’a pas encore été corrigée

baiser sur la joue flétrie et ridée de la vieille femme. Ce baiser qui passait tout près de moi, tout parfumé de bonté chaste et d’abandon filial, me fit pourtant frissonner de jalousie.

— Vous avez froid ? me dit Célie ingénument. Voyons, il faut manger, c’est le seul remède ; vous ne mangez pas !

Elle me donnait l’exemple en mangeant tout ce qui lui était offert avec un appétit juvénile. Le repas était loin d’être délicat ; elle le trouvait exquis de la meilleure foi du monde. Elle avait dès l’enfance vécu avec ces paysans, et sa récréation avait été de vivre comme eux. Les vieilles femmes la tutoyaient, et elle leur disait vous de même qu’aux vieillards, tandis qu’elle tutoyait tous les autres. Elle était complètement de la famille, et cela dans toutes les familles du bourg ; car, après toutes les aventures de mer, elle recevait l’invitation de ceux qui l’avaient accompagnée. La première offre était toujours acceptée. J’appris, par la suite de la conversation, qu’elle invitait souvent ses hôtes du village à sa table, et qu’ils s’y trouvaient aussi à l’aise que chez eux. En les voyant si convenables, si polis et remplis d’un respect intérieur si profond pour elle, je reconnus que ces villageois, depuis longtemps traités en hommes, étaient devenus véritablement des hommes. Leur nature froide, leur métier austère et le sentiment religieux que la fondation de cette fraternité dans le péril leur inspirait, rendaient leurs manières sérieuses sans affectation et leur langage mesuré sans effort. Je vis en eux ce tact extraordinaire qui se révèle souvent comme un don spontané chez les gens que l’on en croirait le plus dépourvus, et dont l’absence est si fréquente et