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que chose à sa manière de voir, soit qu’elle eût quelque vague soupçon du secret de ma pensée.

Le lendemain, elle me parla fort peu de l’adoption du petit naufragé. Il semblait que ce fût à ses yeux la chose la plus simple ; elle n’était tourmentée que de l’avenir de sa fille.

Pour conquérir de vive force l’attention et l’estime particulière de mademoiselle Merquem, j’avais fait ce qui, aux yeux d’une autre femme, eût passé pour un coup de tête. Elle n’en jugeait point ainsi ; mais d’inspiration j’avais engagé ma vie à un devoir sérieux, et je vis bien que la passion avait atteint en moi son apogée, car je ne sentis ni effroi ni repentir de ma précipitation. Au contraire, le réveil du lendemain me trouva plus fervent et plus sûr de moi-même, Célie était le bon et le bien personnifiés ; elle ne pouvait m’inspirer que le bien et le bon. Je jurai que ma première tentative d’espionnage serait la dernière, que jamais plus je ne douterais de la franchise et de la pureté de celle à qui je voulais consacrer mon existence.

Si je n’eusse été forcé de rendre à Stéphen Morin le festin qu’il m’avait donné, je ne serais pas retourné au village de la Canielle ; mais il était fort susceptible, et aucune excuse n’eût pu couvrir ma retraite. Je fus donc exact au rendez-vous du jour suivant, et j’arrivai en carriole, apportant quelques bouteilles de bon vin et un pâté de gibier. Pour le reste, je voulais m’en remettre au savoir-faire de madame Guillaume, que j’avais prévenue, et qui embarqua ses victuailles et les miennes sur la barque de son mari. Nous eûmes pour rameurs Célio Guillaume et Célio Barcot, c’est-à-dire le blond flegmatique et le brun inquiet, un type