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et, là, on s’est expliqué un peu chaudement. La demoiselle a bien vu le lendemain chez nous un œil poché par-ci, une oreille déchirée par-là ; elle a cru qu’on s’était battu dans le vin, elle a un peu grondé, mais on s’est laissé dire ; elle n’a pas su qu’on avait flanqué une leçon à ses ennemis.

J’aurais écouté Célio toute la nuit : mais ses récits n’intéressaient pas Stéphen, qui m’emmena impitoyablement vers les récifs pour voir le coucher du soleil. Si l’on pouvait prendre le beau en horreur, mon camarade le peintre m’eût fait maudire la nature. À force de la voir et de la chercher, il avait fait abstraction complète des idées, des sentiments et des émotions de la vie humaine. Il s’était systématiquement dégagé de ces vains accessoires, et ne daignait mettre l’homme dans ses tableaux que pour avoir un ton en manière de repoussoir. Il cherchait tout au plus en lui le mouvement ; de l’expression, il ne faisait pas le moindre cas. Je m’expliquai pourquoi ses figures ressemblent à des rochers, et leurs vêtements à des algues.

Je fis mon possible quand même pour lui plaire en l’écoutant, et, quand je le quittai, il fut convenu que je lui rendrais son dîner sous forme d’un déjeuner en mer le surlendemain. Il promettait de me conduire aux rochers où nichent les guillemots. Nous mangerions en barque ou sur l’écueil, et je chasserais pendant qu’il ferait une petite étude.

Ceci convenu, je me dirigeai vers le château de la Canielle, où il me semblait que ma tante ne devait pas tarder à arriver, et, cette fois, je pris le sentier de la falaise pour arriver plus vite.

Je ne le gravis pas sans émotion en songeant que je foulais la trace des pas légers de Célie sur le sable et