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faite sur mon sauvage compagnon. Je me gardai bien de discuter, et je m’ennuyai considérablement avec lui devant cette table boiteuse où, l’appétit satisfait tant bien que mal, il me fallut rester deux heures à fumer et à entendre mon hôte s’extasier sur tous les effets de la mer et du ciel, les sentant et les décrivant fort bien, mais m’inspirant par cela même un sentiment de tristesse, puisque je le savais incapable de les rendre autrement que par la parole.

J’attendais avec impatience le retour des habitants, car tout le monde était monté au château, et le village était désert. Enfin je vis les groupes redescendre le sentier, et bientôt la grève, le chemin de gravier qui servait de rue et la maison où nous étions se remplirent. Tous ces villageois s’étaient endimanchés pour l’audience, c’est ainsi qu’ils appelaient l’après-midi que la demoiselle consacrait chaque semaine à les entendre. J’écoutai ce qui se disait dans la maison. Je sortis pour recueillir les propos de la rue, je me mêlai aux groupes, et, en résumant le tout, voici ce que j’appris.

Cette audience hebdomadaire était une institution de l’amiral Merquem. Jusqu’à la dernière semaine de sa vie, il s’y était astreint. Ce brave homme avait été adoré de son village, et le fétichisme dont Célie était l’objet lui était reconnu par droit d’héritage. Elle s’était fidèlement conformée aux prescriptions et aux habitudes de son aïeul. Élevée par lui sur la mer, puisque, par tous les temps et à toutes les heures, tant qu’il avait été valide, il l’avait promenée sur sa barque, — un vrai chef d’œuvre de natation et de solidité — elle avait gardé le goût et le besoin de cet exercice. Blasée sur les périls de ces excursions, elle les