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influence acquise par ses opinions ; moi, je n’ai pas encore d’opinions politiques, et, comme je suis un honnête garçon, je ne feins pas plus d’en avoir que je ne feins de prendre mon emploi au sérieux. Je sais très-bien qu’en perdant mon père, je resterai sans appui, et que, si j’ai affaire alors à des supérieurs zélés, à des pédants administratifs, je perdrai ma place. Voilà pourquoi je songe à me marier pendant que j’ai cette place, qui fait de moi ce qu’on appelle un parti sortable. Qui dit mariage dit donc affaire dans la position où je suis ; cette position, je ne me la suis pas faite, je l’ai subie. Je n’aurais pas mieux demandé que d’être un homme de mérite, mais on ne m’a pas donné l’occasion de le devenir. J’y suppléerai par ma volonté quand je me sentirai mûr. Je réfléchirai, j’écrirai ou j’agirai ; je serai quelque chose. Il n’est pas permis de ne rien être au temps où nous vivons. Ce que je produirai, je ne le sais pas encore, mais je sais la philosophie que j’aurai, et je veux bien te la dire d’avance.

« Je ne sais absolument rien de la vie future, voilà pourquoi je ne la nie pas ; mais je ne force pas non plus mon imagination pour y croire. Toute ma religion consiste à accepter la vie présente telle qu’elle est, et à ne pas chercher querelle à Dieu sur son peu de durée. J’accepte aussi la courte mesure d’intelligence qu’il m’a donnée, ainsi qu’à la plupart de mes semblables, et ma vertu consiste à n’en pas faire le mauvais usage de préférer le laid au beau, le mal au bien. Donc, je ne ferai jamais d’action perverse et je n’aurai pas de vices, ce qui ne sera pas une conduite trop vulgaire ; je n’ai pas de goût pour ce qui est vulgaire.

« Te voilà fixé sur mes principes de religion et de moralité. Ils tiennent, comme tu le vois, en deux mots : tolérance et bon goût. C’est assez, si ces deux mots-là sont sérieux.