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je sais ; le reste est un mystère. S’est-il repenti du mauvais effet de sa direction sur ma mère au point de changer pendant plusieurs années son point de vue religieux, et de vouloir par son influence me préserver des mêmes exagérations ? Pourquoi donc aujourd’hui reprend-il les foudres de l’intolérance pour me séparer d’Émile ? Pourquoi veut-il me replonger dans l’isolement du cloître ? Et comment peut-il concilier la rudesse de son zèle avec les petites duplicités ou avec les attendrissements passagers que je remarque en lui ?

J’ai voulu tout vous dire, car je vous appelle à mon secours, et cette longue lettre abrégera beaucoup, j’espère, votre examen de ma situation. Elle est fort cruelle, je vous assure, car je vois mon père sous le joug d’un homme redoutable et peut-être inflexible. Je crains pour mon pauvre grand-père, avec qui l’abbé a exprimé le vif désir de causer, certain, dit-il, de faire tomber ses préventions et de ramener son âme à Dieu. Osera-t-il se présenter de nouveau chez nous malgré ma défense ? Émile, jusqu’à présent si patient, si fort, si confiant envers moi, si prudent avec l’abbé, ne faiblira-t-il pas dans toutes ces luttes ? Non ! mais comme il doit souffrir ! Et s’il allait encore tomber malade ! Et puis vers quelle solution marchons-nous ? Si vous ne nous sauvez pas, puis-je résister à la volonté paternelle, traîner notre nom devant des tribunaux, couvrir ma famille de ridicule ?… Cela m’est impossible… Enfin venez ! Mon grand-père vous appelle aussi et vous attend avec impatience. Quel que soit l’accueil de mon père, souvenez-vous qu’à Turdy, vous êtes chez M. de Turdy et chez moi.

À vos pieds et dans vos bras, monsieur,

Lucie.