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— Vous le demandez ? À Aix, où, grâce à nos bons rameurs, il arrivera en même temps que M. Moreali. Il va tâcher de repuiser en lui la force qu’il vient de perdre avec moi. Ah ! Émile ! Henri a dû vous dire l’orage qui a passé sur nous pendant que vous étiez auprès du grand-père ; tâchons que ces tempêtes n’arrivent plus jusqu’à lui ! Moi, j’en suis brisée ! »

Elle s’assit, et sa charmante tête, pleine de l’animation de la lutte, se pencha pâle comme un lis battu du vent. Émile la soutint dans ses bras en lui disant :

« Courage, Lucie, courage ! Vous combattez pour votre liberté, je combats pour mon amour, nous ne pouvons pas être vaincus !

— Ah ! que Dieu vous entende ! dit-elle en se ranimant ; mais comme on souffre de lutter contre son père ! un père que l’on voit si rarement, que le cœur appelle avec impatience, dont on rêve l’arrivée, là sur le chemin, avec son grand cheval blanc dans les jambes et sa belle balafre sur la joue ! On voudrait le voir toujours souriant, l’étouffer de caresses, lui faire de ces quelques jours où on le tient enfin un paradis de tendresse et d’expansion… Et puis on le trouve sombre, tendu, chagrin, capricieux, et tout à coup violent et obstiné !… car il est devenu obstiné ! Il n’était pas ainsi, il était vif et faible : il est encore faible, mais il s’attache d’autant plus à ceux qui lui soufflent l’opiniâtreté, et ses emportements ont perdu la franchise qui les faisait oublier. Il vous dit : « Je cède, » et il se dit en lui-même : « Je m’arrangerai pour ne pas céder. » Ah ! comme on me l’a changé, mon pauvre père ! C’était un brave soldat avec toutes ses rudesses et ses naïvetés ; ils ont mis les détours et les rancunes d’un casuiste dans sa peau de lion !… »

Vous le voyez, monsieur, mademoiselle La Quintinie a ouvert les yeux. Que l’amour ait fait ce miracle, ou que