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en dépit d’eux-mêmes, et pas plus que nous ils ne peuvent s’en passer.

Lucie comprendra, si elle est véritablement intelligente ; si elle ne l’est pas, brise ton amour et n’engage pas ta vie, car, si tu la voyais retomber sous le joug du prêtre, de quoi te plaindrais-tu ? Tu étais libre de ne pas l’épouser. Tu pouvais chercher ta compagne parmi celles qui pensent comme toi… Mais, moi, je crois à la grandeur et au sérieux de son esprit ; aussi ne suis-je pas très-inquiet. Poursuis donc cette noble conquête sans autres armes que celles qui t’ont servi jusqu’à présent, une sincérité inaltérable, une fermeté invincible pour conserver ta propre croyance, et avec cela la foi au vrai, qui est contagieuse et qui transporte les montagnes.

…Je reçois ta lettre du 13. — Eh bien, tu as été un peu vite ; mais il n’est plus temps de regarder derrière soi, puisqu’à l’heure où tu recevras ma réponse, tu auras déjà présenté ta demande au général La Quintinie. Nous allons bien voir si, par quelque exigence inadmissible, il ne rend pas ta démarche nulle. N’importe, Lucie t’aime, je le crois ; elle te l’a dit, ce me semble, avec une grandeur qui me charme, et je l’aime aussi, moi, et je la veux pour fille, si les obstacles dont elle parle, et que je commence à pressentir, ne sont pas insurmontables. Ces obstacles ne viennent plus d’elle, sois-en certain. Elle ne croit pas à l’enfer, elle ne damne personne. Elle est à nous, va, puisqu’elle est au vrai Dieu ! Elle est de ces âmes de diamant que l’erreur ne peut ternir, et je l’estime, non pas quoique, mais parce que. Si elle a pu fleurir dans cette atmosphère du cloître sans en rapporter ni ombre ni déviation, c’est une forte plante, j’en réponds, et nulle brise malsaine ne l’empêchera de porter ses fruits.

Courage donc, un grand courage, Émile ! entends-tu ?