Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée

prit mon bras avec une familiarité surprenante, sans pourtant rien perdre de la dignité de ses manières, et, quand nous eûmes fait quelques pas :

« Monsieur, me dit-il, reconnaissons d’abord, pour nous entendre, que M. le général La Quintinie est d’un caractère excentrique et singulier. Je vous tromperais si je vous laissais croire que je suis son ami plus que le vôtre. Notre connaissance est tout aussi récente. Je l’ai rencontré ces jours derniers chez mademoiselle de Turdy à Chambéry. Elle nous a présentés l’un à l’autre, et, comme cette dame était fort préoccupée des projets de mariage formés entre sa nièce et vous, on m’a sommé pour ainsi dire de donner mon avis, non pas sur votre mérite personnel, qui n’était pas mis en doute, mais sur une question d’application générale du principe religieux dans le mariage. Je me suis défendu : on me traitait un peu trop comme un Père de l’Église, et le rôle d’oracle qu’on voulait m’attribuer ne convenait ni à mon peu de lumières, ni à la discrétion de mes sentiments ; mais je ne pouvais refuser de causer, et je ne sais pas le moyen de causer sans dire ce que je pense. Ce que j’ai pensé tout haut, je puis vous le rapporter fidèlement. J’ai dit qu’entre gens d’honneur il n’y avait jamais moyen de transiger en matière de foi… Je sais que c’est votre opinion aussi ; mais j’ai ajouté que la vraie foi était contagieuse, et que vous ouvririez probablement les yeux à cette lumière, grâce à l’ascendant de votre fiancée. Voilà tout ce que j’ai dit : ne croyez donc pas, en me voyant ici, que j’y vienne en trouble-fête et en disputeur. Je me suis récusé comme arbitre, et je ne prétends à votre confiance qu’autant qu’il vous plaira de me l’accorder.

— Permettez-moi, lui répondis-je, de vous connaître davantage avant de vous donner cette confiance que votre bonté réclame. Je vaux sans doute moins que vous, puisque