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de surprise bien marquée, comme pour demander s’il était initié au secret de la famille. Le général me comprit, car il se hâta de répondre à cette question muette :

« Monsieur est de bon conseil, et je l’ai présenté dans la maison comme mon ami. Est-ce que ça ne suffit pas ? »

J’allais dire en termes polis que cela ne me suffisait peut-être pas, à moi ; M. Moreali ne m’en laissa point le temps. Il me tendit avec une grâce charmante une main blanche comme une main de femme et me dit :

« Nous nous connaissons, monsieur ; nous avons déjà échangé nos pensées, poussés l’un vers l’autre non pas tant par le hasard que par une invincible sympathie. Je suis à moitié Italien, moi, c’est-à-dire impressionnable et de premier mouvement ; vous m’avez intéressé, vous m’avez plu, et, malgré la différence de nos opinions, je sens que je désire vivement votre bonheur. Ne vous demandez donc pas si la confiance que le général me fait l’honneur de m’accorder est bien ou mal placée. Consultez votre instinct : je suis sûr qu’il vous dira que je suis votre ami. »

C’était aller bien vite, je le sentais, et pourtant, comme il n’est guère possible de se méfier sans cause, je répondis avec déférence et gratitude. Lucie, dont je tenais toujours le bras, m’avertit par une légère pression… de quoi ? de me rendre, ou de m’observer ? Le général s’assit sur le rocher en disant d’un ton satisfait :

« Alors, si vous vous entendez tous les deux, me voilà tranquille, et ma fille doit l’être aussi. Je reste ici avec elle un instant ; allez devant, nous vous rejoindrons. »

C’était un ordre d’avoir à m’expliquer sur l’heure avec cet inconnu. J’y étais mal disposé par l’étrangeté du fait. Quelque agréable que soit le personnage, sa soudaine intervention bouleversait toutes mes idées. Il