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d’un troupeau. Vous avez compris le but de la femme, vous avez vu que l’enfant ne pouvait avoir plusieurs mères, et que, pour vivre heureux ou pour mourir doucement, il devait absorber toute l’existence d’une seule. Vous vous êtes dit enfin que le but de la femme était la maternité avec toutes ses angoisses, toutes ses sollicitudes, tous ses déchirements et toutes ses joies, et qu’une religieuse n’était, en comparaison d’une mère, qu’un pédagogue à la place de Dieu.

— Oui, Émile, c’est la vérité que vous dites, et c’est là ce que j’ai ressenti. Tous mes raisonnements exaltés sont tombés devant le fait éprouvé. L’état le plus sublime et le plus religieux, c’est l’état le plus naturel. Dieu n’a pas mis dans nos cœurs ce miracle de tendresse inépuisable, cette faculté d’aimer et de souffrir pour que notre volonté s’y refuse. Le jour où j’ai perdu Lucette, j’ai résolu de me marier ; mais je ne voulais pas me marier à tout prix, et aucun homme n’avait parlé à mon cœur, aucun n’avait éveillé mon imagination. J’étais très-hautaine, c’était un tort sans doute. Je n’avais pas le droit de prétendre à l’affection d’un homme véritablement supérieur, moi dont la vie toute faite de grandes aspirations et de petits dévouements avait été en somme assez stérile. Que voulez-vous ! je ne me donne pas raison ; j’étais prévenue, et l’idéal religieux dont je m’étais nourrie ne me portait pas à l’indulgence dans le monde réel. J’étais pourtant née bienveillante, ce me semble ; mais j’avais fait deux parts de moi-même : une de bonhomie et d’enjouement pour cette vie extérieure à laquelle je ne voulais me mêler qu’à la surface, comme fait l’hirondelle qui rase le flot et ne quitte pas le domaine de l’air ; l’autre toute de recueillement et d’enthousiasme pour les choses célestes, région intellectuelle où je voulais absorber le meilleur de mon âme.