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trente, il y en a cent, il y en a mille, il y en a peut-être autant que de catholiques. Reconnaissons que l’esprit humain est arrivé à ce point qu’il a beau aliéner sa liberté en principe, il ne peut plus l’aliéner en réalité, et que les papes eux-mêmes, dans l’appréciation de certaines questions contraires à l’esprit chrétien, sont de libres penseurs tout comme les autres.

Il est libre, en effet, celui qui prononce cette parole : Je te maudis ! de même que celui qui répond : Nul n’a droit de maudire son semblable, est libre devant Dieu. Reste à savoir lequel des deux l’esprit de Dieu inspire. Là n’est point la question ; nous demandons à savoir où réside ce que l’on appelle l’orthodoxie, et d’où part ce que l’on invoque comme l’autorité. Si elles émanent des allocutions papales, des formules de l’excommunication, des mandements des évêques, des sermons des ecclésiastiques et des manifestes de la presse catholique, nous sommes certains que l’esprit clérical est condamné par la conscience publique, et qu’il est inutile de lui faire la guerre.

Mais il y a autre chose que la doctrine cléricale, il y a le parti clérical, dont les menées rentrent dans l’ordre des agitations politiques, et qui dès lors peut, à un jour donné, faire éclater un vaste complot contre le principe de la liberté sociale et individuelle. Je ne crois pas que ce parti menace beaucoup tel ou tel gouvernement. Je crois qu’il s’accommodera toujours de ceux qui lui garantiront la prépondérance de l’intrigue et de l’intimidation sourde, qu’ils soient démocratiques ou de droit divin ; mais il veut, à coup sûr, combattre le progrès de la raison, atrophier le sens de la liberté dans l’homme, et, pour en venir à ses fins, il a une arme qui paraît toute-puissante, il a une apparence de doctrine.

Nous disons une apparence, car il n’a rien de plus ; mais l’idée d’une doctrine arrêtée et formulée est quelque chose de si tentant aux époques de doute et de transition, que les esprits fatigués de luttes et paresseux devant tout examen — c’est le grand nombre — se groupent autour du drapeau qui flotte au vent et se déclarent enrégimentés, à la condition qu’on ne leur demandera plus de comprendre leur devoir et d’étudier leur droit.