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les vieillards ; oui, oui, c’est parler en homme, et c’est ainsi que j’aurais dû parler à la mère de ta mère, à ta mère, et à toi par conséquent ! Vous ne vous seriez pas jetées toutes les trois dans ce mysticisme qui t’éloigne du bonheur au moment d’y toucher, et qui a rendu si triste et si froid le mariage de ta mère et le mien. Ah ! je dis là des choses que je ne devrais peut-être pas dire devant toi ; mais il y a dans la vie des moments décisifs où il faut tout avouer ! Sache donc, folle enfant, que ni ton père, ni ton grand-père n’ont été heureux ! Ton père, qui a fini par donner aussi dans la dévotion, ne se rappelle pas combien il a maudit autrefois l’influence du prêtre dans son ménage ! Il l’a maudite pourtant, et je l’ai vu furieux, menacer la vie d’un certain directeur. Aujourd’hui, sans doute il en demande pardon à ces messieurs ; mais ces messieurs ne peuvent lui rendre le bonheur qu’ils lui ont volé. Et, quant à moi, je n’étais ni violent, ni despote, j’aimais ma compagne… Je l’eusse aimée avec passion, si elle l’eût voulu ; mais il y avait entre nous un homme qui ne voulait pas, un homme qui lui disait chaque jour : « Subissez les caresses de votre mari, votre corps lui appartient, mais non votre âme, puisqu’il est un impie et un philosophe ! Gardez votre âme à Dieu et à moi… »

— Mon père ! s’écria Lucie, ne dites pas ces choses-là !

— Je veux les dire, je les dirai ! elles me font du mal, elles t’en font aussi, ce n’est pas une raison pour laisser la vérité dans l’ombre et dans l’oubli. J’ai quatre-vingt-deux ans ; eh bien, je le jure devant celui que vous appelez Dieu, et qui est pour moi la loi de l’univers, je porte en moi depuis cinquante ans une malédiction que je veux formuler jusqu’à ma dernière heure ! Maudite et trois fois maudite soit l’intervention du prêtre dans les familles ! le prêtre qui, jeune ou vieux, honnête ou dépravé,