Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

ignorer notre avenir, se retirant de la vie comme un homme honteux et désespéré d’avoir perdu sa cause et manqué son but. Je n’avais aperçu en lui aucun scrupule de conscience. Il était en face de la légalité comme une espèce de sauvage qui méprise les institutions humaines et qui, dans sa hutte, redevient doux, hospitalier et sociable.

Tout en songeant à lui, je sentis d’autant plus combien je devais de confiance et de déférence à ma mère, qui avait toujours lutté pour ne point lui livrer la gouverne de ses enfants. Où m’eût-il conduit, s’il eût fait de moi un associé de Perez et l’époux de sa fille ?

Je m’efforçai de penser sans émotion à cette Manuela qui, sans le savoir, avait déjà joué un rôle si marqué et si varié dans ma vie. Je m’applaudissais de ne l’avoir pas vue lors de ma première excursion à Panticosa, et pourtant qui sait si mon amour n’eût pas fait d’elle une honnête femme ? La plupart des gens qui m’avaient parlé d’elle la plaignaient, et ceux qui l’avaient tant soit peu connue semblaient en être restés épris. J’essayais de me la rappeler. Elle m’avait fait l’impression que produirait l’apparition d’un ange. Y avait-il en elle quelque chose de particulièrement séduisant, ou mon imagination avait-elle fait tous les frais de cette séduction ?