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causer avec elle. On ne pensait pas que la fille d’un aubergiste, si bien élevée et si distinguée qu’elle fût, pût résister à des offres brillantes. Nous ne faisions qu’intercepter et brûler les lettres d’amour qu’on lui adressait. Maman déclara qu’elle ne viendrait plus à Luz, et mon père loua la maison pour trois ans.

Jeanne fut contente de cette décision. Bien qu’elle eût toujours accepté cette occupation sans paraître la trouver au-dessous d’elle, elle commençait à souffrir des regards qui la poursuivaient et de sa passion pour la musique, qu’elle ne pouvait plus satisfaire à la campagne. Quant à moi, qui étais toujours libre de reprendre seul aux vacances ma belle vie de montagnard, je fus content de n’avoir plus à faire le métier de gendarme autour de la maison. D’ailleurs, depuis l’aventure de Panticosa, où j’avais été puni si ridiculement de ma passion romanesque, je n’aimais plus tant cette région des Pyrénées ; je me disais que je n’avais pas le droit de m’alarmer du grain de folie que j’avais vu poindre chez Jeanne, puisque j’avais été fou moi-même pendant toute une année. Étais-je bien guéri ? Non, je ne l’étais pas ; je n’étais plus agité au point de négliger le travail ; mais le rêve de cette Manuelita redevenue charmante me poursuivait encore. Je le chassais ; son vilain père se plaçait entre elle et