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gie singulière, et, chose étrange, à partir de ce temps-là, je perdis, en apparence du moins, l’ascendant que j’avais sur elle. Elle me témoigna une réserve extrême, elle évita toute occasion de se trouver seule avec moi ; cela dura au moins un an. Devais-je révéler à ma mère l’idée fixe de cette pauvre enfant ? Je n’osais pas ; ma mère ne goûtait pas un bonheur sans mélange. Mon père, trop souvent absent, lui laissait toute la responsabilité du ménage et de la famille. Il suivait avec obstination une carrière qu’elle n’approuvait pas ; elle craignait toujours quelque scandale amené tout d’un coup par la découverte de son secret. Elle aimait Jeanne encore plus peut-être qu’elle ne m’aimait, et je trouvais cela naturel, Jeanne ayant plus que moi besoin de sollicitude, de soin et de direction ; elle acceptait ses bizarreries avec une indulgence à toute épreuve : fallait-il lui dire que je croyais Jeanne un peu folle ? D’ailleurs Jeanne était dans l’âge où les jeunes filles sont souvent ainsi ; c’est une crise de développement intellectuel et physique qui s’apaise quand l’essor est pris. Je m’imaginai que la vie de couvent avait surexcité son imagination ; j’espérai qu’elle se calmerait auprès de ma mère, si sage et si patiente.

En effet, quand je la revis au bout de ma première