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diable as-tu donné ton attention ? C’est la Manuela que tu aurais dû regarder ; c’est celle-là qui est jolie et bien élevée !

— Je n’ai pu voir que son menton.

— Pourquoi diable t’es-tu sauvé ?

— Par discrétion. Je ne suis pas au courant de tes affaires.

— C’est bien, mais j’aurais aimé à te présenter à elle et à son père ! Tiens ! le vapeur n’a pas sonné son dernier coup. Montons à bord !

Je refusai. Perez m’eût sans doute reconnu, et j’eusse été fort embarrassé d’expliquer mon escapade de l’année précédente. C’était un hasard que rien ne l’eût trahie, et puis j’avais grand’peur de retomber dans ma folie. Le nom et le fantôme de cette Manuela m’avaient tant troublé ! Pour la voir, j’avais fait trente lieues à travers les glaciers, les torrents et les abîmes ; elle était là, je n’avais qu’un pas à faire pour la connaître, je n’osais plus.

Il faut dire aussi que le Perez, cet homme qui voyageait impudemment avec sa fille et sa concubine, me devenait de plus en plus odieux.

— Où donc vont-ils ainsi ? demandai-je à mon père d’un air d’indifférence.

— Ils vont faire un voyage d’agrément et de santé,