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qu’elle voulût se persuader une chose impossible pour se dispenser d’être ma sœur et de m’aimer comme je l’aimais.

Peu à peu pourtant ce rêve parut s’effacer de nos esprits ; mais ce qui ne s’effaça pas de même, ce fut mon amour fantastique pour l’inconnue Manuela. Voyant qu’il n’en était plus question, je me laissai aller à un projet romanesque que j’avais déjà formé l’année précédente. Je résolus d’aller secrètement à Pampelune pour tâcher d’apercevoir cette merveille de beauté. Je calculais déjà le nombre de jours nécessaires à ce voyage et cherchais le prétexte que je donnerais à mon absence, lorsqu’une circonstance inattendue vint rendre l’escapade beaucoup plus facile. Mon père posa, un beau matin, une lettre sur la table en me chargeant de la porter à la poste. En jetant les yeux sur l’adresse, je me sentis transir et brûler. Il y avait sur cette adresse : « À don Antonio Perez, à Panticosa, en Navarre. » J’eus la soudaine malice de relire tout haut, afin d’attirer l’attention de ma mère, qui était occupée au bout de la cuisine. Elle tourna la tête et dit à mon père :

— Il demeure donc là, ce Perez ?

— Oui, répondit mon père, c’est son pays, il y est à présent avec la petite.