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masqué. Il aimait toujours Manuela, il l’aimait peut-être plus que jamais. Il allait la disputer obstinément à la mort et à moi. Il prenait sa revanche ; sans doute il y avait compté. Son désintéressement n’était probablement que de la patience.

J’étais presque irrésolu quand Vianne vint me prendre pour me conduire à la diligence.

— Qui sait, lui disais-je, si le chagrin de mon départ, l’étonnement de n’avoir pas reçu mes adieux, ne vont pas être pour Manuela une crise mortelle ? Elle va penser que je la trahis et l’abandonne.

— M. Brudnel est là pour la rassurer sur ton compte.

— M. Brudnel travaille pour lui !

— Tu t’en aperçois ? C’est fort heureux. Eh bien, il aura gain de cause ; lui seul peut tout pardonner, ne sortons pas de là. Viens-tu ?

— Que sais-je ? Puisque, dans tous les cas, il y a à risquer l’existence de cette pauvre enfant, pourquoi laisserais-je à un autre la tâche du dévouement et la chance du triomphe ? Si je l’enlevais…

— Tu vas venir, ou je ne te revois de ma vie, reprit Vianne en m’entraînant. Je n’ai pas le goût des lâchetés. Si c’est là l’amour, arrière ce sentiment égoïste et brutal ! je ne veux jamais le connaître.

Il me mit en diligence : il était forcé de rester deux