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pagne, sa servante, si elle veut ; si elle lui ressemble, ce sera un ange de plus avec nous. Voyons, est-ce que tout cela est triste ou inquiétant ?

Je vis que Manuela vivait dans son rêve habituel de confiance et d’espoir et je n’osai la détromper ; mais elle sentit l’embarras de mes réponses, et, comme M. Brudnel revenait vers nous, elle se leva et passa son bras sous le sien avec cette grâce caressante qui ressemblait tellement à l’amour, qu’on pouvait s’y méprendre. Je savais bien qu’elle avait cette grâce-là, même en donnant un ordre à la Dolorès ou en caressant son chat. J’en avais été mille fois frappé ; je m’étais dit alors qu’elle devait être irrésistible dans l’amour ou dans la coquetterie, d’autant plus qu’elle y portait une inconscience absolue de la mesure et de la nuance. À force d’être femme, elle ne l’était plus assez. La manière dont elle penchait son front, comme pour solliciter de M. Brudnel le baiser paternel qu’il ne lui avait pas donné en arrivant, fit passer en moi le frisson de la colère. Elle s’en aperçut, et resta indécise, tout à coup maladroite et confuse, soumise à mon caprice plus qu’il n’était convenable de le laisser paraître en une rencontre si délicate. Mon humeur en augmenta, et je voulus m’éloigner à mon tour pour les laisser ensemble, comme si ma jalousie eût