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— Eh bien, oui, hélas ! je pousserai jusque-là la crainte du qu’en dira-t-on.

— Non, je ne vous crois pas si bourgeoisement méticuleux. Vous êtes jaloux, Laurent, dites la vérité, vous êtes jaloux de moi !

— Pas en ce moment, non. Je vous estime et vous aime trop ;… mais je le serais demain, je le sens. Elle vous a aimé, elle me l’a dit du moins, et son désir de vous plaire a été la principale cause de sa réhabilitation. Rien de plus simple et rien de mieux ; mais l’amour est ombrageux, injuste, irréfléchi…

— Oui, je sais ; il faudra donc nous séparer… Que tout cela est triste et mal arrangé ! J’aurais dû revenir un jour plus tôt. Je ne vous reproche rien, Laurent, mais votre amour brisera bien des choses dans votre vie et dans la mienne !

Je ne le savais que trop, et je restai accablé sous cet arrêt de l’amitié. Sir Richard m’avait quitté. Je sortis en proie à un chagrin profond, et, en marchant, je résumai dans mon esprit toutes les ivresses et tous les déboires de ma situation. À deux pas de Manuela, je m’étais interdit de la voir seule, et je m’en réjouissais. Je n’eusse pu lui cacher ma tristesse et mon épouvante ; mais, quand je vis approcher l’heure où M. Brudnel avait l’habitude de se présenter chez