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Croyait-elle réellement que Richard n’épouserait pas et serait enchanté de me marier avec sa fille adoptive ? Était-elle une bonne femme romanesque ou une intrigante corrompue ?

Mais, elle, Manuela, était-elle vraiment l’être sincère et désintéressé dont l’avenir pouvait me toucher ? N’était-elle point la complice bien stylée de sa duègne ? Ne prétendait-elle pas être ou la femme riche et honorée de M. Brudnel, ou tout au moins sa fille adoptive magnifiquement choyée, avec un amant discret installé dans la maison ?

Je laissai tomber le livre sur mes genoux, et mes yeux s’attachèrent invinciblement sur cette jeune dormeuse qui semblait devenue indifférente à toutes les choses de ce monde. Le profond sommeil n’était pas simulé. L’opium faisait son œuvre : elle avait la pose naïve d’un enfant vaincu par la fatigue. Aucune pudeur affectée ; le peignoir collé aux flancs, l’épaule découverte, le bras étendu, elle était l’image de la chasteté inconsciente et ne m’inspirait en ce moment aucune ardeur pénible à vaincre. J’examinais surtout les lignes de son visage, qui ne m’étaient pas encore familières, son front étroit comme celui d’une statue grecque, indiquant plus de spontanéité que de raisonnement, sa joue sans éclat, mais pure et veloutée, ses