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un mari que je ne me rappelais pas avoir jamais vu à l’âge de dix ans. Ma mère était venue d’Espagne avec ce mari dans ma première enfance. Elle me nourrissait encore quand il s’en alla, lui laissant un peu d’argent qu’elle sut économiser, espérant toujours qu’il reviendrait bientôt. Elle était bonne ouvrière, mais elle ne pouvait aller en journée à cause de moi, et une femme gagne si peu ! Elle m’apprit son métier d’enlumineuse de gravures. Elle m’apprit aussi à lire et à écrire tant bien que mal. Je n’ai jamais su l’orthographe. Un peu de couture, un peu d’espagnol, un peu de danse et mes prières en latin que je n’ai jamais comprises, c’est à peu près tout ce qu’elle savait. Elle ne me donna aucune notion du bien ou du mal. Honnête et fidèle à son mari, qu’elle aimait quand même, elle ne savait pas parler sur la morale. Je crois qu’elle se défendait d’y penser dans la crainte d’avoir à condamner son mari ; en revanche, elle me surveillait beaucoup. Je ne sortais pas sans elle. J’étais très-pure par la force des choses et sans savoir qu’on peut être autrement. Pourtant nos ressources s’épuisaient. Notre travail ne suffisait pas, nous allions connaître la dernière misère quand mon père envoya de l’argent et annonça qu’il reviendrait bientôt.

» Deux ans se passèrent encore. Enfin mon père ar-