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inutile de l’intelligence ! Ardeur de la foi, rêves de grandeurs divines, vous rongerez en vain la poitrine et le cerveau du croyant ; les hommes sourient et passent indifférents Ah ! je ris comme un fou ! — Il me tourna brusquement le dos, et s’enfonça d’un air chagrin sous un berceau de vigne. J’eus envie de le suivre ; sa tristesse me faisait peine. Mais je vis passer dans l’eau une dorade qui s’élançait sur une seppia, et, curieux de voir la singulière défense de ce pauvre animal informe contre l’agile nageur, je me penchai sur la grève. Je vis alors le calamajo, l’encrier, c’est ainsi qu’on appelle ici cette espèce de seppia, lancer son encre à la figure de l’ennemi, qui fit une grimace de dégoût et s’éloigna fort désappointé. Le calamajo fit à sa manière quelques gambades agréables sur le sable ; mais ce divertissement ne fut pas de longue durée. La dorade revint traîtreusement, et, par derrière, le saisit et l’emporta au fond de l’eau avant qu’il eût songé à se servir de son ingénieux stratagème. Cette guerre me fit oublier celle du pape avec M. de Lamennais, et je restai un quart d’heure à me bronzer au soleil, dans la contemplation imbécile de quelques brins d’herbes où vivaient en bonne intelligence deux ou trois mille coquillages. Cette société paraissait florissante, lorsqu’un goëland effronté vint, sous mes yeux, la bouleverser d’un coup d’aile et presque l’anéantir. Rien ne peut donc subsister, pensai-je ; et je me rappelai les tristes réflexions de l’abbé. J’allai le rejoindre ; mais, à ma grande surprise, je le trouvai riant tout de bon et relisant d’un air de satisfaction, en se caressant la barbe, des lignes qu’il venait d’écrire avec le bout d’une ardoise sur le méridien du jardin. Je me penchai sur son épaule, et je lus des vers vénitiens qu’il venait de composer, et dont j’ai essayé de faire tant bien que mal la traduction.