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imposante, que Beppa et moi partîmes d’un éclat de rire sympathique. — Mais enfin quel crime as-tu commis, damné vieillard ? dit Giulio. — Gnente, paron ! — Toujours la même chose ! dit Pierre. De quoi diable veux-tu que je te justifie si je ne sais pas de quoi tu es accusé ? — Gnente, lustrissimo, altro che gavemo fato un Nicoloto. — Qu’est-ce que cela veut dire ? demandai-je. — Ma foi ! je n’en sais rien, répondit Giulio. Qu’est-ce que tu entends par là, vechio birbo ? — Nous avons fait un Nicoloto, répéta Catullo. — Et comment s’y prend-on, demanda le docteur en fronçant le sourcil, pour faire un Nicoloto ? — Avec le Christ, avec quatre torches et avec le bouillon de seppia. — Ma foi ! c’est trop mystérieux pour moi, dit le docteur. Explique tes sorcelleries, réprouvé ! car je suis chrétien, et n’entends rien au culte du diable. — E nù ancà ! semo cristiani ! s’écria le vieillard désolé. Mais il n’y a pas de mal à cela, paron ; c’est une coutume de tous les temps ; nos pères l’observaient, et nous l’avons pratiquée sans y rien ajouter de mal. Nous avons élu notre chef et nous l’avons baptisé. — Ah ! je comprends. Vous avez voulu faire un doge ? — Sior, si ! — Et vous l’avez baptisé avec l’encre de seppia, parce que le noir est la couleur des Nicoloti ! — Sior, si ! — Et vous lui avez fait jurer sur le Christ de défendre les droits et priviléges des Nicoloti ? — Sior, si ! — Et d’égorger une vingtaine de Castellani tous les matins ? — Sior, no ! — Et ce doge, c’est l’illustrissime gondolier Gambierazi ? — Sior, si, mi compare Gambierazi. — Que tu ne connaissais pas hier soir ? — Sior, si. — Et ton fils a pris part aussi à cette farce sacrilége ? — Ancà mio fio. — Et que veux-tu que je fasse pour toi, quand tu te mets sur le dos de semblables accusations ? Songes-tu que tu me compromets moi-même, et que je serai peut-être soupçonné de t’avoir soudoyé pour exciter tes pareils à la révolte ? — Ce mot de soudoyer, dans la bouche de Pietro, fit tellement rire Beppa, que le docteur