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Il raconte longuement, quand il trouve des auditeurs, des histoires de fêtes qui ressemblent à des contes de fées ; mais quand il craint de ne pas être entendu avec recueillement, il s’enferme dans son mépris du temps présent, et contemple avec philosophie les trous nombreux de sa casaque, en se rappelant qu’il a porté la veste de soie bariolée, l’écharpe flottante et la barrette emplumée. Trois ou quatre autres se pressent face à face devant la madone. Ils semblent avoir un secret d’importance à se confier ; on dirait presque d’un groupe de bandits méditant un assassinat sur la route de Terracine. Mais ils vont se livrer à la plus innocente de leurs passions, celle de chanter en chœur. Le tenore, qui est en général un gros réjoui, à voix grasse et grêle, commence en fausset du haut de sa tête et du fond de son nez. C’est lui qui, selon leur expression énergique, gante la note, et chante seul le premier vers. Peu à peu les autres le suivent, et la basse-taille, plus rauque qu’un bœuf enrhumé, s’empare des trois ou quatre notes dont se compose sa partie, mais qu’elle place toujours bien, et qui certainement sont d’un grand effet. La basse-taille est d’ordinaire un grand jeune homme sec, bronzé, à physionomie grave et dédaigneuse, un des quatre ou cinq types physiques dont à Venise, comme partout, la population se compose. Celui-là est peut-être le plus rare, le plus beau et le moins national. Le pur sang insulaire des lagunes produit le type que décrit ainsi Gozzi : Bianco, biondo e grassotto. — Robert va sans doute rassembler, dans le cadre qu’il remplit à présent à Venise, les plus beaux modèles de ces diverses variétés, et nous donner de cette race caractérisée une idée à la fois poétique et vraie[B]. Sa couleur, broyée aux ardents rayons du soleil de l’Italie méridionale, se modifiera