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rêve d’amour à travers les nuages du sommeil, et que le chat, roulé en pelote sur les cahiers de musique, exhale de temps en temps un miaulement plein d’ennui et de mélancolie.

Ce soir-là, Beppa était seule avec Pierre et Vespasiano (c’est le nom du chat). — Miracle, docteur ! dis-je en entrant ; comment as-tu fait pour veiller si tard ? — Nous étions inquiets, me dit-il d’un ton grondeur, tandis que sa dernière rime expirait encore amorosa sur ses lèvres, et vous savez que nous ne dormons pas quand vous n’êtes pas rentré. — Ah çà, mes amis, répondis-je, votre tendresse est une persécution. Me voilà obligé d’avoir des remords de votre insomnie, quand j’ai cru faire la promenade la plus innocente du monde. — Mon cher enfant, me dit Beppa en me prenant les mains, nous avons une prière à te faire. — Qui est-ce qui pourrait te refuser quelque chose, Beppa ? Parle. — Donne-moi ta parole d’honneur de ne plus sortir seul après la nuit tombée. — Voilà encore tes folles sollicitudes, ma Beppa ; tu me traites comme un enfant de quatre ans, quand je suis plus vieux que ton grand-père. — Tu es environné de dangers, me dit Beppa avec ce petit ton de déclamation sentimentale qui lui sied si bien ; celle qui te poursuit est capable de tout. Si tu aimes un peu la vie à cause de nous, Zorzi, enferme-toi à la maison ou quitte le pays pour quelque temps.

— Docteur, répondis-je, je te prie de tâter le pouls de notre Beppa. Certainement elle a la fièvre et un peu de délire.

— Beppa s’exagère le danger, dit-il ; d’ailleurs ce danger, quel qu’il fût, ne saurait commander à un homme une chose aussi ridicule que de fuir devant la colère d’une femme. Pourtant il ne faut pas trop rire, dans ce pays-ci, de certaines menaces de vengeance, et il serait prudent de ne pas courir seul à des heures indues et par les quartiers les plus déserts et les plus dangereux de Venise.