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du beau et du vrai. Eh bien ! je déplore que l’organisation de ce corps utile et respectable soit si mauvaise que son action devienne impossible, pour ne pas dire funeste, et que sa considération tombe chaque jour sous les lazzis et les soupçons de la foule ignorante. Voici quelle serait mon utopie si j’avais à chercher un remède à tant d’abus et de confusion.

D’abord je voudrais que le nombre des gens qui font de la critique fût beaucoup plus étendu, en même temps que le nombre des articles de critique qui paraîtraient serait fort restreint. Je voudrais qu’on ne fît pas de la critique un métier, et qu’il n’y eût pas de la critique tous les jours et à propos de tout. Puisque le public veut des journaux, que les colonnes des journaux sont les chaires d’éloquence assignées à certains professeurs d’esthétique, je voudrais que chaque journal eût son jury, où des hommes compétents seraient choisis selon les opinions et l’esprit du journal, et appelés à prononcer sur les œuvres de quelque importance ; je voudrais qu’une foule d’enfants sans savoir, sans goût et sans expérience, ne fût pas admise à juger les doyens de l’art, à faire ou à empêcher de naissantes réputations, sur la seule recommandation d’un style aisé, d’une rédaction abondante et facile, d’un esprit ingénieux et plaisant. Je voudrais que nul n’osât exercer la critique comme une profession, mais que tout homme de talent et de savoir en remplît le sérieux et noble exercice comme un devoir, et par amour des lettres, sauf à en tirer un honnête bénéfice dans l’occasion, puisqu’il est permis même au prêtre de vivre de l’autel.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que les artistes seuls doivent juger les artistes. Je crois au contraire que généralement c’est une assez mauvaise épreuve, et que les journaux deviendraient bien vite, entre les mains de rivaux de même profession, le théâtre de combats sans dignité, sans retenue, où, la passion s’exprimant toujours, on approcherait