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que du contraire. Si le major est savant, que lui importent les souffrances et l’abjection du simple et de l’ignorant ? Que le major sympathise avec des esprits d’une haute trempe, cela est heureux et agréable pour lui et pour eux ; mais le monde n’en ressent aucune chaleur, et le vulgaire n’en reçoit aucun soulagement. Eh ! trouvez donc un moyen d’appuyer votre science sur un texte limpide et laconique ! et quand vous aurez fait un peuple avec cela, vous lui ferez des codes en trente volumes si vous voulez. Jusque-là vous n’êtes que des brahmanes, vous cachez la vérité dans des puits, et vos plus anciens adeptes peuvent à peine expliquer vos mystères, tant ils sont compliqués, tant le principe y est enveloppé d’hiéroglyphes ! Faute de vouloir trancher dans le vif et de présenter courageusement tout le péril et toute la souffrance d’une grande crise expiatoire, vous faites rire avec vos énigmes, et vous méritez à plusieurs égards les reproches d’hypocrisie qu’on vous adresse. Voilà pourquoi tout votre bagage scientifique n’enrichit personne ; voilà pourquoi nous ne savons rien, ou, quand nous nous mêlons d’étudier et d’interpréter, nous tombons dans une déplorable confusion.

— Et cependant, n’en doutez pas, reprit Franz, l’avenir du monde est dans tout. Les divers éléments de rénovation se constitueront un jour et formeront une noble unité. Oh ! non, tant de belles œuvres éparses ne retomberont pas dans la nuit ; tant de nobles aspirations, tant de généreux soupirs ne seront pas étouffés par l’implacable indifférence du destin. Qu’importent les erreurs, les faiblesses et les dissensions des champions de la vérité ? Ils combattent aujourd’hui épars, et malades, malgré eux, du désordre et de l’intolérante vanité du siècle. Ils ne peuvent s’élever au-dessus de cette atmosphère empoisonnée. Perdus dans une affreuse mêlée, ils se méconnaissent, se fuient et se blessent les uns les autres, au lieu de se presser sous la même bannière et de plier le genou devant les plus robustes et les plus purs