mise en action, et soutenue par une certaine énergie, on en ferait plus qu’avec toute la sagesse des nations délayée dans les livres. Cela me vient, non à propos de l’éducation de mes enfants, mais à propos de celle du genre humain, sur laquelle Franz discourait, du haut de sa mule, en traversant les précipices de la Tête-Noire. Et moi, à pied, tirant par la bride le mulet de ma fille, pour lui faire descendre des gradins de rochers fort difficiles, je babillais à tort et à travers. On me faisait la guerre parce que je n’avais pas voulu mordre à la philosophie durant notre séjour à Chamounix. Le major est savant, Franz est curieux de science, Arabella pénètre tout d’un coup d’œil rapide et clair. Moi, je suis paresseux, nonchalant, et orgueilleux de mon ignorance comme un sauvage. Ils avaient beau jeu contre moi, eux trois qui savaient sur le bout de leur doigt tout l’argot de la métaphysique allemande. Je me défendis comme un diable, et je crois que nous ne nous entendîmes ni les uns ni les autres. D’abord je suspectais le major de vouloir me sonder pour me juger du haut de son savoir, et prononcer judicieusement sur la pauvreté de ma cervelle. Je n’étais pas bien pressé, comme tu peux croire, de lui laisser palper toutes les bosses et tous les creux phrénologiques dont m’a doué la nature. Je n’aime à parler de moi qu’avec ceux que j’aime, et, quoique je trouvasse le major infiniment spirituel (peut-être même à cause de cela précisément), je me sentais une secrète méfiance contre lui.
J’avais grand tort, assurément. Dans la suite du voyage, j’ai vu qu’il était bon autant qu’intelligent ; et son cerveau, que je croyais si froid et si bouffi, est plus poétique que le mien : je m’en suis aperçu à ma grande honte et à mon grand plaisir.
Tant il y a, que, le jugeant un peu pédant, je fis le grossier et le railleur avec lui pendant toute cette journée. J’attaquai, par esprit de contradiction, toutes les belles choses qu’il savait, et je fis une guerre de Vandale à sa métaphysique.