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Je descends au hasard à l’Union, que les gens du pays prononcent Oignon, et cette fois je me garde bien de demander l’artiste européen par son nom. Je me conforme aux notions du peuple éclairé que j’ai l’honneur de visiter, et je fais une description sommaire du personnage : Blouse étriquée, chevelure longue et désordonnée, chapeau d’écorce défoncé, cravate roulée en corde, momentanément boiteux, et fredonnant habituellement le Dies iræ d’un air agréable.

— Certainement, monsieur, répond l’aubergiste, ils viennent d’arriver ; la dame est bien fatiguée, et la jeune fille est de bonne humeur. Montez l’escalier, ils sont au nº 13.

— Ce n’est pas cela, pensai-je ; mais n’importe. Je me précipite dans le nº 13, déterminé à me jeter au cou du premier Anglais spleenétique qui me tombera sous la main. J’étais crotté de manière à ce que ce fût là une charmante plaisanterie de commis voyageur.

Le premier objet qui s’embarrasse dans mes jambes, c’est ce que l’aubergiste appelle la jeune fille. C’est Puzzi à califourchon sur le sac de nuit, et si changé, si grandi, la tête chargée de si longs cheveux bruns, la taille prise dans une blouse si féminine, que, ma foi ! je m’y perds ; et, ne reconnaissant plus le petit Hermann, je lui ôte mon chapeau en lui disant : Beau page, enseigne-moi où est Lara ?

Du fond d’une capote anglaise sort, à ce mot, la tête blonde d’Arabella ; tandis que je m’élance vers elle, Franz me saute au cou, Puzzi fait un cri de surprise ; nous formons un groupe inextricable d’embrassements, tandis que la fille d’auberge, stupéfaite de voir un garçon si crotté, et que jusque-là elle avait pris pour un jockey, embrasser une aussi belle dame qu’Arabella, laisse tomber sa chandelle, et va répandre dans la maison que le nº 13 est envahi par une troupe de gens mystérieux, indéfinissables, chevelus comme des sauvages, et où il n’est pas possible de reconnaître les hommes d’avec les femmes, les valets d’avec les maîtres. —