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Si je cherche l’histoire du cultivateur postdiluvien dans la version plus simple et plus naïve du vieux Noé, je vois sa lignée user plus sobrement et plus religieusement du fruit divin. Première victime de son imprudence, il apprend à ses dépens que le sang de la grappe est plus chaud et plus vigoureux que le sien propre ; il tombe vaincu, et ses pieux enfants apprennent à s’abstenir, le même jour où ils ont connu une jouissance nouvelle. Sur les versants brûlants de la Judée, la vigne multiplie sobrement ses richesses, et l’homme, conservant une sorte de respect pour les divins effets de la plante précieuse, inscrit cette loi touchante dans son livre de la Sagesse :

« Laissez le vin à ceux qui sont accablés par le travail, et la cervoise à ceux qui sont dans l’amertume du cœur ; les princes ne boiront pas le vin et la cervoise, ils les laisseront à ceux qui souffrent et à ceux qui travaillent dans l’amertume du cœur. »

Honneur aux âges primitifs ! amour aux antiques pasteurs ! regret à la jeunesse du monde ! Temps agréables au Seigneur, où l’homme cherchait la science sans qu’il fût possible de savoir le funeste usage qui serait fait de la science ; où la sagesse n’était pas un vain mot et correspondait, dans les codes des patriarches, aux besoins vrais et nobles de l’humanité ! vous paraissez grands et presque impossibles quand on vous compare aux sociétés modernes. Dieu, grand Dieu ! toi qui parlais sur la montagne pour dire aux hommes : « Faites ceci, » et qui voyais ta loi accomplie ; toi dont la parole descendait dans les tabernacles d’Israël, instruisait et dirigeait tes législateurs prosternés, que sens-tu pour nous désormais dans ton sein paternel en voyant la terre asservie aux volontés impies et aux besoins insensés d’une poignée d’hommes pervers, le mot sacré de loi traduit par celui d’intérêt personnel, le labeur remplacé par la cupidité, les cérémonies augustes et saintes par des coutumes ineptes ou des mystères incompris, tes lévites par des pontifes ennemis