blesse m’empêche de quitter, mais où mes pieds n’enfoncent pas dans le sol, grâce à toi ! garde-moi dans l’humble sentiment de mon néant, dans la philosophique acceptation de ce néant si doux et si commode, qui s’ennoblit quelquefois par la victoire remportée sur de vaines aspirations… Ô gaieté ! toi qui ne peux être vraie sans le repos de la conscience, et durable sans l’habitude de la force, toi qui ne fus point l’apanage de mes belles années et qui m’abandonnas dans celles de ma virilité, viens comme un vent d’automne te jouer sur mes cheveux blanchissants, et sécher sur ma joue les dernières larmes de ma jeunesse.
Et toi, cher vieux ami, prête-toi aux caprices de mon babil et à l’absurdité de mes observations. Tu sais que je ne vais pas étudier les merveilles de la nature, car je n’ai pas le bonheur de les comprendre assez bien pour les regarder autrement qu’en cachette. Le désir de revoir des amis précieux et le besoin de locomotion m’entraînèrent seuls cette fois vers la patrie que tu as abandonnée. Il te sera peut-être doux d’en entendre parler, si peu et si mal que ce soit. Il est des lieux dont le nom seul rappelle des scènes enchantées, des souvenirs inénarrables. Puissé-je, en te les faisant traverser avec moi, éclaircir un instant ton front et soulever le fardeau des nobles ennuis qui le pâlissent !
À Dieu ne plaise que je médise du vin ! Généreux sang de la grappe, frère de celui qui coule dans les veines de l’homme ! que de nobles inspirations tu as ranimées dans les esprits défaillants ! que de brûlants éclairs de jeunesse tu as rallumés dans les cœurs éteints ! Noble suc de la terre, inépuisable et patient comme elle, ouvrant comme elle les sources fécondes d’une séve toujours jeune et toujours chaude, au faible comme au puissant, au sage comme à l’insensé ! — Mais il est ton ennemi, comme il est l’ennemi de la Provi-