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qu’elles régissent. Elles sont l’ouvrage des hommes les plus éminents en sagesse et en intelligence[F]. L’élément humain se trouve dans les abus, dans les préjugés, dans les vices de chaque génération, et depuis les temps peut-être fabuleux de cet âge d’or que le poëte revendique comme la tige de sa généalogie, toute génération a subi beaucoup plus la puissance du mal que celle du bien. Les codes non écrits de la coutume ont eu plus de force que le code écrit du devoir. Les châtiments n’ont rien empêché là où la coutume s’est mise en révolte contre la loi. C’est pourquoi les sociétés, cherchant sans cesse le bien dans leurs institutions, ont toujours été envahies par le mal. Le législateur enseigne et dicte la loi que l’humanité accepte et n’observe pas. Chaque homme l’invoque dans ses intérêts ; chaque homme l’oublie dans ses plaisirs.

Cet être à la fois disgracié et privilégié qu’on appelle poëte marche donc au milieu des hommes avec un profond sentiment de tristesse. Dès que ses yeux s’ouvrent à la lumière du soleil, il cherche des sujets d’admiration ; il voit la nature éternellement jeune et belle, il est saisi d’extase divine et de ravissements inconnus ; mais bientôt la création inerte ne lui suffit plus. Le vrai poëte aime passionnément Dieu et les œuvres de Dieu ; c’est dans lui-même, c’est dans son semblable qu’il voit rayonner plus distinctement et plus complétement la lumière éternelle. Il voudrait l’y trouver pure et adorer Dieu dans l’homme comme un feu sacré sur un autel sans tache. Son âme aspire, ses bras s’entr’ouvrent ; dans son besoin d’amour, il fendrait volontiers sa poitrine pour y faire entrer tous les objets de son immense désir, de ses chastes sympathies ; mais la laideur humaine, l’ouvrage des siècles de corruption, ne peut échapper à son œil limpide, à son regard profond. Il pénètre à travers l’enveloppe,