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les merveilles de la création visible. Cherche-t-il à ressaisir dans les ténèbres du monde intellectuel quelque fil du labyrinthe ; essaie-t-il de secouer la cendre des siècles d’abus et de préjugés pour fouiller sous cette croûte épaisse de l’habitude, pour tirer quelque étincelle du volcan éteint, quelque pâle lueur de la vérité divine, dès lors il devient dangereux ; on s’en méfie, on l’entrave, on le décourage, on insulte à sa conscience, on empoisonne ses voies, on l’appelle corrupteur et sacrilége, on flétrit sa vie, on éteint le flambeau dans ses mains tremblantes ; heureux si on ne le charge pas de fers comme aliéné !

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……… Oui, le poëte est malheureux, profondément malheureux dans la vie sociale. Ce n’est pas qu’il veuille qu’elle se reconstruise exprès pour lui et selon ses goûts, comme la raillerie le prétend : c’est qu’il voudrait qu’elle se réformât pour elle-même et selon les desseins de Dieu. Le poëte aime le bien ; il a un sens particulier, c’est le sens du beau. Quand ce développement de la faculté de voir, de comprendre et d’admirer ne s’applique qu’aux objets extérieurs, on n’est qu’un artiste ; quand l’intelligence va au delà du sens pittoresque, quand l’âme a des yeux comme le corps, quand elle sonde les profondeurs du monde idéal, la réunion de ces deux facultés fait le poëte ; pour être vraiment poëte, il faut donc être à la fois artiste et philosophe.

C’est là une magnifique combinaison organique pour atteindre à un bonheur contemplatif et solitaire ; c’est une condition certaine et inévitable d’un malheur sans fin dans la société.

La société est composée, comme l’homme, de deux éléments : l’élément divin et l’élément terrestre ; l’élément divin, plus ou moins pur, plus ou moins altéré, se trouve dans les lois. Ces lois, quelque imparfaites, quelque mal formulées qu’elles soient, sont toujours meilleures que la génération