versera-t-il ? L’homme est libre par la volonté de Dieu. On peut enchaîner et faire périr le corps ; on ne peut asservir l’homme moral. On dit qu’il y aura contre nos amis des sentences de mort et d’ostracisme ; nous ne sommes rien en politique, nous autres, mais nous sommes les enfants de ceux qu’on veut frapper. Je sais qui vous suivrez sur l’échafaud ou dans l’exil ; vous savez pour qui j’en ferai autant. Ainsi nous nous reverrons peut-être, Franz, non plus comme d’heureux voyageurs, non plus comme de gais artistes dans les riantes vallées de la Suisse, ou dans les salles de concert, ou dans l’heureuse mansarde de Paris ; mais bien sur l’autre rive de l’Océan, ou dans les prisons, ou au pied d’un échafaud ; car il est facile de partager le sort de ceux qu’on aime quand on est bien décidé à le faire. Si faible et si obscur qu’on soit, on peut obtenir de la miséricorde d’un ennemi qu’il vous tue ou qu’il vous enchaîne. Ils veulent faire des martyrs, dit-on : Dieu soit loué ! notre cause est gagnée. Bonjour, mon frère Franz ; soyons gais ; ce ne sont plus des temps de désolation que ceux où l’on peut se dévouer pour quelqu’un et mourir pour quelque chose. Que peut-on nous ôter, à nous qui n’avons jamais rien demandé au monde ? Avons-nous quelque ambition folle dont il faudra guérir, quelque soif avide dont il faudra mourir ? Malheureux sont ceux qui possèdent ; ils ne pourront jamais rien sur ceux qui s’abstiennent. Nous ôtera-t-on les uns aux autres ? pourra-t-on nous empêcher de vivre pour nos frères et de mourir avec eux ?…
Pendant que j’étais dehors, mon ami et mon hôte de la maison déserte est revenu de la campagne. Il a fait faucher l’herbe de la cour, il a fait tailler la vigne ; les fenêtres sont ouvertes le jour, et les mouches entrent dans les chambres ; la maison est rangée selon lui ; selon moi, elle est ravagée. Ces mutilations, ce vandalisme, sont-ils un présage de ce qui va se passer en France ? Allons-y voir ; je pars. Où irai-je ? je ne sais ; là où quelqu’un des nôtres aura besoin