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« Tout ce qui tient à l’humanité est pour nous une affaire de famille. Tu es homme, et tout ce qui est homme hors de toi est comme une branche du même arbre, un membre du même corps. — Ô homme ! réjouis-toi de l’existence de tout ce qui se réjouit d’exister, et apprends à supporter tout ce que Dieu supporte. L’existence d’un homme ne peut rendre celle d’un autre superflue, et nul homme ne peut remplacer un autre homme. »

Cette tolérance et cette douceur de jugement à l’aspect de la difformité est d’autant plus touchante que nul homme ne porte plus loin que Lavater l’amour du beau et le sentiment exquis de la forme. Il se prosterne devant la pureté grecque ; mais il proscrit avec discernement les imitations modernes de cette beauté qui n’existe plus. Nous pensons bien tous que, sur cette terre dorée où tout était dieu, l’homme l’était lui-même, et qu’il y avait dans la rectitude des lignes de sa forme quelque chose de surhumain qui n’a fait que dégénérer et s’effacer depuis. Il y a des races d’hommes qui périssent ; cependant Lavater eût été moins absolu dans cette opinion, s’il eût vu beaucoup de figures orientales. Je me souviens d’avoir rencontré, sur les quais de Venise, des Arméniens presque aussi beaux que des dieux de l’Olympe. Nous retrouvons encore, quoique rarement, dans nos contrées européennes, des visages assez grandioses pour servir de modèles à la statuaire antique, et je ne pense pas avec Lavater que la nature ne fait point chez nous de lignes parfaitement droites et pures. Néanmoins j’approuve le physionomiste de critiquer ces charges de l’antiquité que les peintres médiocres de son temps prenaient pour l’idéal. Il distingue les chefs-d’œuvre de la Grèce de ces têtes de médailles qui se frappaient grossièrement, et sur lesquelles la presque absence de front, la perpendicularité roide et courte du nez, la proéminence grotesque du menton et l’écartement des yeux ne produisent qu’une caricature affreuse de la beauté. Il s’afflige de voir que l’esprit d’un minutieux examen