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essayer de vous approprier ce qui n’appartient qu’à Dieu, la connaissance des secrets du cœur humain ; et quand vous aurez appris à vos semblables à se sonder et à se surprendre l’un l’autre, il en résultera une haine implacable pour les pervers, vous aurez tué la miséricorde ; un mépris superbe pour les simples, vous aurez tué la charité. Lavater s’incline. L’objection est sérieuse, dit-il, et part d’une belle âme ; mais toute science peut devenir funeste en de mauvaises mains, utile et sainte pour quiconque la dirige vers le bien. Est-ce à dire qu’il ne faut pas de science, parce qu’on en peut abuser ? Mais, ajoute-t-on, comment réparerez-vous ou comment préviendrez-vous les injustices qu’une erreur peut vous faire commettre ? ou, si tant est que vous soyez infaillible, vos disciples le seront-ils ? Tous les jours nous voyons l’honnête homme sous des traits ignobles et le scélérat sous ceux de la franchise et de la loyauté. — Lavater nie le fait. Tout novice qui veut se presser de pratiquer doit tomber dans de graves erreurs, pense-t-il ; mais quiconque confierait les secrets de la médecine à des écoliers s’exposerait à d’affreux dangers. L’homme éclairé fait plus de bien que l’ignorant ne fait de mal ; car l’ignorant n’est pas destiné à jouir d’un long crédit parmi les hommes, tandis que celui du vrai savant s’accroît de jour en jour. Toute science est un apostolat qui demande des hommes éprouvés et dignes d’en être investis. Quant à ces scélérats à faces d’ange et à ces honnêtes gens à tournure ignoble qu’on lui objecte, il déclare que ces apparences ne trompent pas le vrai physionomiste. « Souvent, dit-il, les indices d’une passion généreuse touchent de si près à ceux de la même passion dégénérée en excès et en vice, que l’œil inexpérimenté peut s’y méprendre. Il ne s’en faut que d’une demi-ligne, d’une courbe légère, d’une dimension inappréciable au premier abord. Il s’en faut de si peu ! dit-on ; mais ce peu est tout.

« Il arrive souvent que les plus heureuses dispositions se