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qui comprenez vite et qui dévorez les volumes, vous ne savez ce que c’est que l’importance d’une lecture attentive et lente pour une âme paresseuse comme la mienne. Je ne suis pourtant pas de ceux qui attribuent aux livres une influence morale et politique bien sérieuse. La philosophie me paraît surtout la plus innocente de toutes les spéculations poétiques, et je pense que les âmes d’exception, soit par leur force, soit par leur faiblesse, sont seules capables d’y puiser des résolutions et des encouragements réels. Toute intelligence qui ne cherche pas sa conviction et sa lumière dans les leçons de l’expérience et de la réalité, et qui se laisse gouverner par des fictions, est organisée exceptionnellement. Si c’est en plus, elle s’exaltera et se fortifiera par les bonnes lectures ; si c’est en moins, elle y trouvera de grands sujets de consolation ou peut-être elle s’affectera misérablement de ce qu’elle croira être sa condamnation. Dans l’un et l’autre cas, la lecture aura joué un rôle très-accessoire dans ces diverses destinées. Leurs résultats se fussent produits plus ou moins vite si les individus n’avaient pas su lire. Et quant à moi, vous savez que j’ai un profond respect pour les illettrés. Je me prosterne devant les grands écrivains et devant les grands poëtes ; et pourtant il est des jours où, à l’aspect de certaines âmes naïves et saintement ignorantes, je brûlerais volontiers la bibliothèque d’Alexandrie.

Cela posé, je puis bien vous dire qu’en raison de ma nonchalance et de mon inaptitude à toute espèce d’action sociale, je suis de ceux pour qui la connaissance d’un livre peut devenir un véritable événement moral. Le peu de bons ouvrages dont je me suis pénétré depuis que j’existe a développé le peu de bonnes qualités que j’ai. Je ne sais ce qu’auraient produit de mauvaises lectures ; je n’en ai point fait, ayant eu le bonheur d’être bien dirigé dès mon enfance. Il ne me reste donc à cet égard que les plus doux et les plus chers souvenirs. Un livre a toujours été pour moi