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— Je jure par lui, répondis-je, et vous pouvez croire que c’est une parole sacrée. Adieu, docteur.

Il serra ma main dans sa grosse main rouge, et faillit la briser comme un roseau. Deux larmes coulèrent silencieusement sur ses joues. Puis il leva les épaules et rejeta ma main en disant : Allez au diable ! — Quand il eut fait dix pas en courant, il se retourna pour me crier : — Faites couper vos talons de bottes avant de vous risquer dans les neiges. Ne vous endormez pas trop près des rochers ; songez qu’il y a par ici beaucoup de vipères. Ne buvez pas indistinctement à toutes les sources, sans vous assurer de la limpidité de l’eau ; sachez que la montagne a des veines malfaisantes. Fiez-vous à tout montagnard qui parlera le vrai dialecte ; mais si quelque traînard vous demande l’aumône en langue étrangère ou avec un accent suspect, ne mettez pas la main à votre poche, n’échangez pas une parole avec lui. Passez votre chemin ; mais ayez l’œil sur son bâton.

— Est-ce tout, docteur ?

— Soyez sûr que je n’omets jamais rien d’utile, répondit-il d’un air fâché, et que personne ne connaît mieux que moi ce qu’il convient de faire et ce qu’il convient d’éviter en voyage.

Ciaó, egregio dottore, lui dis-je en souriant.

Schiavo suo, répondit-il d’une voix brève en enfonçant son chapeau sur sa tête

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Je conviens que je suis de ceux qui se casseraient volontiers le cou par bravade, et qu’il n’est pas d’écolier plus vain que moi de son courage et de son agilité. Cela tient à l’exiguité de ma stature et à l’envie qu’éprouvent tous les petits hommes de faire ce que font les hommes forts. — Cependant tu me croiras si je te dis que jamais je n’avais moins songé à faire ce que nous appelons une expédition. Dans mes jours de gaieté, dans ces jours devenus bien rares où je sortirais volontiers, comme Kreissler, avec deux cha-