de désespoir ou abîmé de remords ; et cependant nul voyageur ne fut plus fier de sa découverte, nul pèlerin ne salua plus pieusement la terre sainte.
La sylphide n’avait pas dédaigné de cultiver les plantes que le maître de la maison déserte lui avait concédées. Trois tilleuls qui séparaient la cour en deux, avec une plate-bande de pieds-d’alouette le long des murs, une vigne et de grandes mauves pyramidales, avaient pris une richesse et un développement splendides. Quand j’eus atteint la partie pavée de mon petit domaine, j’eus soin de marcher sur les dalles disjointes sans écraser la verdure qui se faisait jour à travers les fentes ; j’arrivai ainsi à la porte, et là ce fut un autre embarras. Les longs rameaux de la vigne s’étaient entrelacés au devant de l’entrée ; partout ils formaient des courtines de feuillage devant les fenêtres. Il fallut y porter une main impie, les entr’ouvrir et les soulever comme des rideaux, pour me frayer le passage de ce seuil vénérable. Mais, dès que je l’eus franchi, ces pampres retombèrent avec souplesse et s’embrassèrent étroitement, comme pour m’interdire de repasser l’enceinte sacrée. Je ne vous ai pas encore désobéi, ô flexibles et complaisants barreaux de ma chère prison ! Chaque nuit, je m’assieds sur la dernière marche de l’escalier, et je contemple la lune à travers vos guirlandes argentées. Chaque étoile du ciel s’encadre à son tour en passant devant le réseau diaphane que vous étendez entre elle et moi, et quelquefois le jour me surprend, immobile et muet comme la pierre où je me suis assis.
Oui, Franz, je suis encore dans cette maison déserte, seul, absolument seul, n’ouvrant la porte que pour laisser passer un dîner cénobitique, et je ne me souviens pas d’avoir connu des jours plus doux et plus purs. C’est une grande consolation pour moi, je vous assure, de voir que mon âme n’a pas vieilli au point de perdre les jouissances de sa forte jeunesse. Si de vastes rêves de vertu, si d’ardentes aspirations vers le ciel ne remplissent plus mes heures de méditation,