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Maître, qu’avez-vous rêvé cette nuit, et pourquoi vos disciples accoutumés à recevoir de vous la manne de l’espérance, vous trouvent-ils abattu et tremblant ?

Hélas ! tu trouves que c’est bien long à venir, l’accomplissement d’une grande destinée ! Les heures se traînent, ton front se dégarnit, ton âme se consume et le genre humain ne marche pas. Tes grands désirs se heurtent contre les murs d’airain de l’insensibilité et de la corruption. Tu te vois seul, pauvre homme de bien, au milieu d’un monde d’usuriers et de brutes. Tes frères dispersés et persécutés te font entendre de loin la voix mourante de l’héroïsme que l’avarice et la luxure étouffent dans leurs bras hideux. Encore un peu de temps peut-être, et la triste innocence va périr sous le vice dont les hommes ne rougissent plus. Voilà ce qui me tue, moi ! Quand la voix de l’enthousiasme se réveille dans mon sein, le contact de l’humanité hostile ou insensible à mes rêves me glace et refoule en moi ces élans juvéniles. Alors, voyant mon indignation ridicule à force d’impuissance, voyant ces hommes gras et grossiers jeter un regard de bravade et de mépris sur mes faibles bras, et proclamer le droit du plus fort quand on leur parle d’équité, je me mets à rire et je dis à mes compagnons : Couvrons-nous d’or et de pourpre ; buvons le nectar et le madère, étouffons dans nos âmes le dernier germe de vertu ; puisque aussi bien il faut que la vertu succombe, faisons-nous tuer en chantant sur les ruines de son temple.

Mais, toi, mon frère, tu n’es pas longtemps en proie à ces accès de lâcheté. Bientôt tu sors de ta langueur ; bientôt ta force, engourdie par un instant de froid, se réveille, et le vieux lion secoue sa crinière. Ce serait en vain que le monde tomberait en poussière autour de toi ; tu te ferais marbre alors, et, comme Atlas, tu porterais la terre sur tes épaules inébranlables. Aussi, les nuages qui passent sur ton grand front n’inquiètent pas les hommes que tu rallies autour de toi. Ils jouent le même jeu que toi. Que leur importe la tristesse,