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grand que vous, rien de plus précieux, rien de plus nécessaire.

Allez et parlez de vertu ; un jour viendra où les sensualistes qui vous raillent, aux prises avec l’avidité et la vengeance de ceux qui jusqu’ici n’ont pu satisfaire les jouissances des sens, comprendront qu’il est un sort plus digne d’envie et plus a l’abri de l’orage que le leur ; ils comprendront que la raison populaire plane sur le monde, qu’elle a forcé la porte des boudoirs, qu’elle peut s’arroger le droit de jouir à son tour, et de renvoyer les vaincus à la charrue, au toit de chaume, et au crucifix, seule consolation du pauvre. Ils seront bien heureux alors de rencontrer, entre eux et la haine du vainqueur, la main de l’homme vertueux pour partager les biens de la terre entre le riche et le pauvre, et pour expliquer à tous deux ce que c’est que la justice.

Je ne sais s’il arrivera jamais un jour où l’homme décidera infailliblement et définitivement ce qui est utile à l’homme. Je n’en suis pas à examiner dans ses détails le système que tu as embrassé : j’en plaisantais l’autre jour ; mais du moment que tu m’amènes à parler raison (ce qui, je te le déclare, n’est pas une médiocre victoire de ta force sur la mienne), je te dirai bien que la grande loi d’égalité, tout inapplicable qu’elle paraisse maintenant a ceux qui en ont peur, et tout incertain que me semble son règne sur la terre, à moi qui vois ces choses du fond d’une cellule, est la première et la seule invariable loi de morale et d’équité qui se soit présentée à mon esprit dans tous les temps. Tous les détails scientifiques par lesquels on arrive à formuler une pensée me sont absolument étrangers ; et quant aux moyens par lesquels on parvient à la faire dominer dans le monde, malheureusement ils me semblent tous tellement soumis aux doutes, aux contestations, aux scrupules et aux répugnances de ceux qui se chargent de l’exécution, que je me sens pétrifié par mon scepticisme quand j’essaie seulement d’y porter les yeux et de voir en quoi ils consistent. Ce n’est