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d’affaire. — Eh bien ! oui, je le sais, vous êtes tous heureux, vertueux ou glorieux. Chacun me crie : Levez-vous, levez-vous, faites comme moi, écrivez, chantez, aimez, priez ! Jusqu’à toi, mon bon Malgache, qui me conseilles de faire bâtir un ajoupa et d’y lire les classifications de Linnée. Mes maîtres et mes amis, n’avez-vous rien de mieux à me dire ? Aucun de vous ne peut-il porter la main à ce rocher et l’ôter de dessus mes flancs qui saignent et s’épuisent ? Eh bien ! si je dois mourir sans secours, chantez-moi du moins les pleurs de Jérémie ou les lamentations de Job. Ceux-là n’étaient point des pédants ; ils disaient tout bonnement : La pourriture est dans mes os, et les vers du sépulcre sont entrés dans ma chair.

À ROLLINAT.

Je suis bien fâché d’avoir écrit ce mauvais livre qu’on appelle Lélia, non pas que je m’en repente : ce livre est l’action la plus hardie et la plus loyale de ma vie, bien que la plus folle et la plus propre à me dégoûter de ce monde à cause des résultats. Mais il y a bien des choses dont on enrage et dont on se moque en même temps, bien des guêpes qui piquent et qui impatientent sans mettre en colère, bien des contrariétés qui font que la vie est maussade, et qui ne sont pas tout à fait le désespoir qui tue. Le plaisir d’avoir fait ces choses en efface bientôt l’atteinte.

Si je suis fâché d’avoir écrit Lélia, c’est parce que je ne peux plus l’écrire. Je suis dans une situation d’esprit qui ressemble tellement à celle que j’ai dépeinte, et que j’éprouvais en faisant ce livre, que ce me serait aujourd’hui un grand soulagement de pouvoir le recommencer. Malheureusement, on ne peut pas faire deux ouvrages sur la même pensée sans y apporter beaucoup de modifications. L’état de mon esprit, lorsque je fis Jacques (qui n’a point encore