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que je n’ai pu défendre mon cerveau des puériles misères de ces temps-ci. J’avais dit : Je ferai ceci, et je serai calme ; je l’ai fait, et je suis resté agité. — J’avais dit encore : Je braverai ces écueils et ne frémirai pas ; je les ai bravés, et j’en suis sorti pâle d’épouvante. — J’avais dit enfin : J’obtiendrai ces biens, et je m’en contenterai ; je les ai obtenus, et ils ne me suffisent pas. J’ai fait assez passablement mon devoir : mais j’ai trouvé la peine plus amère, et le bonheur moins doux que je ne les avais rêvés. Pourquoi la vérité, au lieu de se montrer comme elle est, grande, maigre, nue et terrible, se fait-elle riante, belle et fleurie pour apparaître aux enfants dans leurs songes ?

AU MALGACHE.

Je lis immensément depuis quelques jours. Je dis immensément, parce qu’il y a bien trois ans que je n’ai lu la valeur d’un volume in-octavo, et que voici depuis quinze jours trois ouvrages que j’avale et digère : l’Eucharistie, de l’abbé Gerbet ; Réflexions sur le suicide, par madame de Staël ; Vie de Victor Alfieri, par Victor Alfieri. J’ai lu le premier par hasard ; le second par curiosité, voulant voir comment cet homme-femme entendait la vie ; le troisième par sympathie, quelqu’un me l’ayant recommandé comme devant parler très-énergiquement à mon esprit.

Un sermon, une dissertation, une histoire. — L’histoire d’Alfieri ressemble à un roman ; elle intéresse, échauffe, agite. — Le catholicisme de l’abbé a la solennité étroite, l’inutilité inévitable d’un livre ascétique. — Il n’y a que la dissertation de madame de Staël qui soit vraiment ce qu’elle veut être, un écrit correct, logique, commun quant aux pensées, beau quant au style, et savant quant à l’arrangement. Je n’ai trouvé d’autre soulagement dans cet écrit que le plaisir d’apprendre que madame de Staël aimait la vie, qu’elle avait mille raisons d’y tenir, qu’elle avait un sort