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dans leur fierté, dévouées dans leurs affections jusqu’au martyre ; si je pouvais faire d’eux un homme et une femme selon la pensée de Dieu ! Mais cela ne se pourra point. Mes enfants, condamnés à marcher dans la fange des chemins battus, environnés des influences contraires, avertis à chaque pas, par ceux qui me combattent, de se méfier de moi et de ce qu’on appelle des rêves, spectateurs eux-mêmes de ma souffrance au milieu de cette lutte éternelle, de mon cœur ulcéré, de mes genoux brisés à chaque pas sur les obstacles de la vie réelle ; mes pauvres enfants, ma chair et mon âme, se retourneront peut-être pour me dire : — Vous nous égarez ; vous voulez nous perdre avec vous ! N’êtes-vous pas infortuné, rebuté, calomnié ? Qu’avez-vous rapporté de ces luttes inégales, de ces duels fanfarons avec la coutume et la croyance ? Laissez-nous faire comme les autres ; laissez-nous recueillir les avantages de ce monde facile et tolérant ; laissez-nous commettre ces mille petites lâchetés qui achètent le repos et le bien-être parmi les hommes. Ne nous parlez plus de vertus austères et inconnues, qu’on appelle folie, et qui ne mènent qu’à l’isolement ou au suicide.

Voilà ce qu’ils me diront. Ou bien si, par tendresse ou disposition naturelle, ils m’écoutent et me croient, où les conduirai-je ? Dans quels abîmes irons-nous donc nous précipiter tous les trois ? car nous serons trois sur la terre, et pas un avec ! Que leur répondrai-je, s’ils viennent me dire : — Oui, la vie est insupportable dans un monde ainsi fait ; mourons ensemble ! Montrez-nous le chemin de Bernica, ou le lac de Sténio, ou les glaciers de Jacques !

Ce n’est pas que, dans mon orgueil, je veuille dire que je suis seul de mon avis en ce monde par excès de grandeur ou de raison. Non, je suis un être plein d’erreurs et de faiblesses, et les plus sombres voiles d’ignorance couvrent les plus brillants éclairs de mon âme. Je suis seul à force de désenchantements et d’illusions perdues. Ces illusions ont