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À ROLLINAT.

Vendredi soir.

Comment vas-tu, mon ami ? tu es parti bien triste et bien malade. Rassure-moi du moins sur ta santé. Ton âme est naturellement souffrante, et tu n’étais point heureux avant de me connaître. Mais j’ai bien des remords, néanmoins ; car j’ai dû cruellement augmenter cette disposition au chagrin, et cet ennui perpétuel qui te ronge. Ma douleur sombre et inguérissable a dû rejaillir sur toi, et les résolutions lugubres dont je t’ai entretenu tous ces jours derniers ont dû contrister et déchirer ton amitié pour moi, si loyale et si sainte. Pardonne-moi, mon pauvre ami ; j’ai cherché à m’appuyer sur toi, à me reposer un instant sur ton bras ; j’ai voulu te dire mon angoisse afin de m’affermir dans le calme du désespoir, afin de l’emporter dans le tombeau, adoucie et trempée des larmes de l’amitié. Tu as eu le courage de m’écouter en silence et de ne point me donner de vaines consolations ; tu m’as dit seulement ton affection, la seule chose à laquelle je pusse penser sans aigreur et sans méfiance. Oh ! je te remercie ! J’ai obtenu de toi cette rude et sainte promesse, de venir, pour ainsi dire, communier avec moi à mon heure de délivrance. Le Malgache n’en aurait pas la force ; il faut un cœur plus vieux et plus résigné qui me dise : Va-t’en ! et non pas : Reviens à nous. — Je ne peux revenir à rien ni à personne.

Ne te laisse point toucher ni ébranler par cet état désespéré où tu me vois ; ne laisse point la compassion aller jusqu’à la souffrance ; ne laisse point la mélancolie dévorer ces belles fleurs, ces rameaux de chêne dont ta route est couverte. Eh quoi ! tu es utile, tu es nécessaire, tu es vertueux, et tu supporterais la vie à regret ! Oh ! non, tomber ce fardeau que tu portes si noblement, et qui de